Entreprise créée il y a 9 ans après un coup de coeur musical, Microcultures fut un des premiers dispositifs de financement participatif pour les artistes indépendants. Depuis, plus de 400 artistes ont bénéficié de leur accompagnement et de leur aide. Microcultures engage un partenariat avec Indie Up afin d’accompagner les artistes dans leurs campagnes de financement participatif. Pour le fêter, nous recevons son fondateur, Jean-Charles Dufeu, pour qu’il nous partage son histoire et son expertise.
Peux-tu présenter ton parcours et ce que tu fais aujourd’hui ?
J’ai lancé Microcultures après quelques années au sein d’un très grand groupe international de vente en ligne (que je ne cite pas ici, pour ne faire peur à personne), qui m’a initié notamment au marketing numérique et au monde du disque, du côté de la grande distribution. Précédemment, dans le cadre d’un cursus en école de commerce (sic), je me suis fait plusieurs expériences dans des plus petites structures culturelles, notamment des maisons de disques indépendantes. Et avant tout ça, j’ai fait deux années de prépa littéraire, après un bac L. J’aime bien le préciser parce que l’orientation commerciale de mon cursus n’était pas forcément écrite d’avance en ce qui me concerne…
Aujourd’hui, je gère donc Microcultures, ce qui veut dire plein de choses différentes, parmi lesquelles il y a notamment beaucoup d’accompagnement d’artistes et de développement de projets musicaux, particulièrement autour de sorties d’albums.
Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à créer Microcultures ?
L’événement fondateur a été une rencontre avec un musicien américain, Soltero, pour qui j’ai eu une sorte de coup de foudre artistique. Le tout premier projet, plusieurs années même avant la création de Microcultures, c’était pour sortir un de ses disques. J’ai joué le rôle de mécène et de label. Mais suite à cette première expérience (grisante sur le plan humain, catastrophique sur le plan financier), je me suis dit qu’il serait judicieux de trouver un moyen de rendre ce genre d’initiative plus pérenne. D’où l’idée initiale de Microcultures qui était de lier une plateforme de financement participatif avec un module de production. L’ambition était de réfléchir à un outil pour rendre ce genre de projets possibles, des projets dont la portée artistique ne se reflétait pas forcément dans le potentiel économique.
Quelles sont les offres que vous proposez pour les artistes indépendant.e.s ? (production & accompagnement)
Aujourd’hui, Microcultures se positionne sur toute la chaîne de production musicale. Nous sommes en mesure d’accompagner un artiste sur n’importe quelle problématique, des sessions d’enregistrement à la distribution, en passant par la promotion, la fabrication des disques, le graphisme, les questions d’image, de positionnement, le mastering, la gestion de planning, etc. Une grosse partie de cet accompagnement est en fait de l’ordre de l’intangible et passe par les nombreux conseils qu’on va distiller au cours de la gestion de projet.
Comment choisissez vous les artistes que vous produisez & accompagnez ?
Il y a un mélange de plusieurs critères implicites parmi lesquels l’adéquation artistique au projet et le facteur humain jouent un rôle de premier plan. Même si les choses se font de façon virtuelle, il faut qu’il y ait une rencontre, musicale et humaine. On va aussi avoir tendance à considérer l’enthousiasme avec lequel le projet est porté et l’ambition de la chose, l’énergie et la sincérité qu’on perçoit chez l’artiste.
Et puis, ce sera plus motivant pour nous de nous positionner sur une gestion de projet dans sa globalité et en amont de la sortie pour qu’on ait bien le temps de construire la stratégie ; le timing sera donc un élément clef. L’arbitrage se fait en fonction de tout ça. Mais il est vrai qu’on est de plus en plus contraint de sélectionner les projets qu’on accompagne, même sur un principe de production exécutive, si on veut avoir le temps et les ressources pour bien travailler.
Le crowdfunding a été à l’origine du projet, peux-tu nous expliquer pourquoi et nous partager des succès story ?
Quand j’ai monté Microcultures en 2011 (et même fin 2010), le mot même de crowdfunding était encore peu connu en France. On commençait tout juste à découvrir ce principe, inspiré de Kickstarter aux Etats-Unis. J’ai tout de suite vu ça comme un outil de production qui pouvait s’inscrire dans une vision moderne des choses, en musique. Ça me semblait à la fois répondre à un besoin de la part des artistes, de l’industrie, mais aussi de la part du public qui avait un moyen de mieux se connecter à la musique qu’il voulait défendre. Ça me semblait important d’utiliser cet outil à bon escient et de l’intégrer dans un système plus global intègre et vertueux. C’est ça qui m’intéressait avec cette idée.
Nos tout premiers projets ont été financés quasiment intégralement de cette façon. Le financement participatif nous a notamment permis de faire venir en tournée un groupe américain de quatre musiciens, Phantom Buffalo, qui n’avait jamais mis les pieds en Europe avant. C’était un projet très hasardeux (ils ont dormi dans mon salon pendant dix jours), mais hautement excitant. L’idée de les voir jouer en France, dans des belles salles, grâce au soutien d’une centaine de fans qui avaient permis leur venue, c’était un plaisir incomparable.
Et de manière générale, quels sont tes plus belles fiertés ?
Sur le plan éditorial, le fait d’avoir œuvré pour le retour discographique de The Apartments ou John Cunningham, deux grands noms de la pop confinés dans un long silence avant qu’on n’assure la sortie de leur dernier disque en date, fait définitivement partie de mes fiertés. Mais je suis tout aussi fier que Microcultures soit le point d’entrée en France d’artistes étrangers trop méconnus, comme c’est notamment le cas pour Soltero et Phantom Buffalo, déjà cités plus haut, qui n’ont d’ailleurs pas vraiment d’autre label que nous.
Plus globalement, je suis très heureux qu’on ait réussi à créer une famille d’artistes, qui partagent, je crois une certaine forme d’éthique, de sincérité, qui leur permet de se comprendre et de communiquer sans idée de concurrence entre eux. Je suis très fier dès que je vois que des passerelles se mettre en place entre certains de nos artistes. J’aime l’idée qu’on ait créé une marque qui soit liée à une certaine couleur musicale, mais aussi à une certaine approche de la production musicale, une façon de faire liée à l’idée d’artisanat et d’indépendance, à entendre dans tous les sens, surtout les plus nobles.
Aujourd’hui, tu es notre partenaire dédié pour les artistes souhaitant lancer une campagne de crowdfunding, comment cela se passe lorsqu’un.e artiste vient te voir sur cette question ?
On va d’abord essayer de cerner au mieux le projet, comprendre son ambition, les objectifs, le timing, le budget, les besoins… et la musique bien sûr. La prise de contact risque donc toujours de commencer par une série de questions de notre part. Ensuite, on va encourager les artistes à prendre en mains rapidement l’outil de conception de la page de crowdfunding (chez Ulule en l’occurrence, avec qui on est partenaires), car ce sera là aussi un bon moyen de se poser des questions concrètes et d’y répondre.
On a quelques outils à disposition qu’on va partager avec l’artiste, notamment un petit manuel des bonnes pratiques et des conseils à suivre pour que ça marche, et puis un tableau de simulation de budget qui peut être utile pour la mise en place du projet. Mais le plus gros de l’accompagnement repose sur les échanges qu’on aura directement avec l’artiste et les réponses qu’on apportera au fil de l’eau à ses questions.
Souvent, les artistes ont peur qu’une campagne ratée donne une image négative de leur projet, que conseilles-tu ?
Je conseille surtout de ne pas rater. C’est pour ça qu’on est là.
Cela dit, la peur fait partie de l’exercice, c’est presque inévitable. Mais il faut réussir à la transformer en moteur d’action, en saine pression pour atteindre l’objectif fixé. Il n’y a pas d’enjeu sans un minimum de pression. Faire une campagne de crowdfunding, c’est s’exposer. Il y a une part de trac, comparable à ce qu’on peut éprouver avant de monter sur scène, c’est absolument normal. Si ce n’était pas le cas, ce ne serait pas bon signe.
Certes, une campagne ratée n’envoie pas un signal positif. Mais ce ne sera pas le problème principal si ça arrive, n’est-ce pas ? C’est souvent un symptôme que le projet n’est pas assez incarné, ou pas porté avec assez d’enthousiasme. Ce qui se traduit donc de cette façon, entre autres. En toute logique, ça doit se repérer en amont du lancement, et s’éviter.
Tu participes au programme d’accompagnement Indie Up pour les artistes au côté de 8 autres expert.e.s, quelles sont les raisons qui t’ont poussé à y participer ?
Les premières années avec Microcultures, j’avais le sentiment d’être en formation continue, d’apprendre tous les jours sur des métiers que je ne maîtrisais pas bien. Et puis j’ai réalisé que même les maisons de disques très implantées, même les majors (surtout les majors ?) étaient capables de choses qui me déroutaient parfois par leur manque de professionnalisme. J’ai compris qu’on n’avait vraiment pas à rougir de notre fonctionnement et de notre façon de travailler.
Aujourd’hui j’estime qu’on a une vraie légitimité sur un certain marché de la musique, celui de l’autoproduction notamment, qu’on connaît bien pour l’explorer sous tous ses angles depuis près de dix ans.
Ça m’intéresse donc d’apporter une expertise sur des domaines qu’on commence maintenant à bien maîtriser. Et je trouve ça d’autant plus pertinent que ça s’inscrit dans une démarche globale, en complément de ce que d’autres expert.e.s pourront apporter. Il y a beaucoup de sens dans cette logique de mutualisation et de partage des ressources, surtout en 2020, où les réponses ne sont jamais évidentes. Mais c’est déjà une première étape de se poser les bonnes questions. Ce en quoi on peut certainement aider.
Après 11 ans d’activité, quel est ton bilan ?
Microcultures existe juridiquement depuis 2011. Ça ne fait donc que neuf ans d’existence. Mais c’est suffisant pour dresser un bilan. Qui est plutôt positif, comme dirait George Marchais. On a beaucoup expérimenté ces dernières années, on a pris des risques, tenté des choses, on a fait des erreurs, on a beaucoup appris… Aujourd’hui, on a une idée claire de ce qu’on fait, de ce qu’on veut faire, et de la façon dont on veut le faire. Et c’est déjà une sacrée étape.
D’un point de vue plus factuel, on a accompagné plus de 400 projets à différents stades de leur développement, sorti une quarantaine de disques via le label Microcultures Records, conseillé et accompagné des centaines de musiciens… on a aussi permis à plusieurs d’entre eux de se professionnaliser et de franchir le cap qui leur permet de vivre désormais de leur musique. Accessoirement, on a contribué à la publication de plusieurs albums qui me semblent aujourd’hui indispensables. Et c’est peut-être la plus importante de ce bilan.
Aurais-tu un ou des conseils pour les artistes indépendant.e.s ?
Rien ne marche, donc tout est permis !
En des termes plus politiquement corrects : aucune stratégie n’est meilleure qu’une autre, il n’y a pas de recette magique aujourd’hui. Donc soyez inventifs, et ne vous préoccupez pas des règles du marché. Si vous cherchez à copier le succès d’un autre, vous vous éloignez du vôtre. C’est mécanique. Mieux vaut tracer votre voie, suivre votre rythme, écouter votre intuition. Il ne sera peut-être pas foudroyant, mais c’est le seul type de succès qui mérite d’être recherché.
Une musique à nous faire découvrir ou une playlist de vos artistes à partager ?
Voilà une playlist composée de certains morceaux de nos artistes, publiés depuis les débuts du label, et d’autres, par des artistes dont on aime la musique, dans une esthétique proche de la ligne Microcultures Records à écouter sur Spotify ou Deezer.